La Grande Famine en Irlande (1845-1848) a été une période des plus sombres de l’Histoire irlandaise. On estime que la catastrophe aurait fait entre 500 000 et 1 million de morts, plongeant l’île dans un climat de grande misère. Meurtrière et éprouvante, elle a marqué le XIXème siècle de part ses pertes considérables et a favorisé l’émigration vers le nouveau continent. Au delà des circonstances humaines tragiques, la Grande Famine a également vu l’émergence d’un conflit brutal : celui d’un conflit politique complexe, où l’Empire britannique a préféré jouer la carte de l’indifférence alors qu’un pays sous sa domination réclamait son aide…
Un foyer irlandais avant la Grande Famine – Domaine public
Nous sommes dans les années 1830. A cette époque, l’Irlande vit sous domination britannique… Une occupation qui dure depuis déjà le XVIème siècle, où les irlandais subissent quotidiennement les discriminations et le rejet social. Les irlandais, majoritairement catholiques connaissent un climat de répression. Beaucoup vivent sous le seuil de pauvreté et connaissent la misère.
Pourtant, à cette époque, la Grande Bretagne exploite à fond les ressources de l’île. Le gouvernement britannique voit en l’Irlande un territoire parfait pour l’agriculture et la production de denrées alimentaires en tout genre…
Voilà pourquoi plus de 95% des terres irlandaises sont sous l’occupation de propriétaires terriens britanniques. Ces derniers emploient les irlandais pour cultiver leurs terres, élever le bétail… pour ensuite expédier les marchandises par cargos entiers vers l’Angleterre… permettant de nourrir jusqu’à 2 millions de britanniques, rien qu’à partir de ces précieuses ressources irlandaises !
Céréales, légumes, viande, œufs, fromages, lait, saumon, alcool, laine… A cette époque, l’Angleterre utilise l’Irlande comme son « panier à provision »… sans tenir compte de la misère ambiante des irlandais, qui, bien qu’étant censés vivre comme égaux avec les britanniques, semblent être considérés comme une sous-race à gouverner.
Les irlandais doivent donc se satisfaire du peu que les anglais leurs laissent.
A cette époque, nombreux sont les métayers et paysans irlandais à louer un lopin de terre aux riches propriétaires britanniques. Ces derniers tentent alors de cultiver la pomme de terre, un moyen de subsistance essentiel à leur quotidien. Savoureuse et nourrissante, elle permet d’assurer la survie des plus pauvres… Bien que l’argent puisse manquer, les familles vivent le ventre plein.
Des pommes de terre touchées par le mildiou – © nskyr2
1845 : Un champignon parasite, le mildiou, qui a voyagé dans les cales des bateaux depuis l’Amérique du Sud, se propage sur les cultures irlandaises.
Sa prolifération est étonnamment rapide. Elle détruit tout sur son passage et l’humidité permet son extension massive vers la plupart des plants de pomme de terre.
Parasité par le mildiou, le tubercule de la pomme de terre devient alors inconsommable : il se flétrit et pourrit, interdisant toute forme de récupération partielle.
Cette catastrophe naturelle a alors pour conséquence de plonger l’Irlande dans une pénurie alimentaire à grande échelle, accentuant la misère rurale existante, affamant ainsi la population et la privant de toute possibilité de subsistance. Les populations les plus touchées sont celles de l’ouest de l’Irlande.
Ces derniers déjà très appauvris s’entassent sans force dans des chaumières insalubres faites de boue et de paille. Les familles sont souvent nombreuses et hommes, femmes et enfants se voient étreints par la faim. Ils sont contraints à travailler encore plus dur pour les propriétaires terriens, qui s’engagent à leur donner des céréales de mauvaises qualité en échange de ce dur labeur.
En conséquence, les irlandais parviennent à subsister… dans un premier temps…
En 1846, le mildiou revient encore plus fort qu’en 1945… C’est à ce moment que la Famine se durcit. Il n’y a plus de quoi nourrir tout le monde… Les irlandais sont à genoux. Certains essayent de se tourner vers la pêche, d’autres ramassent des algues, tandis que d’autres mendient… Mais la dureté de l’hiver apporte le coup de grâce à la population.
La faim provoque une extrême faiblesse chez les irlandais et provoque d’innombrables maladies comme le typhus, le choléra, la fièvre typhoïde… On enterre par centaines les morts dans des fosses communes… Des enfants voient leurs parents mourir et inversement…
Une scène de la Grande Famine irlandaise – Domaine public
Dès lors, les représentants du pouvoir britannique à Dublin alertent Londres… Il faut agir et vite… Mais pour l’Angleterre, tout n’est qu’exagération… Et le gouvernement a suffisamment dépensé pour la cause irlandaise… L’empire préfère laisser faire, fidèle à sa doctrine libérale de l’époque.
Pire encore, il se dit que certains hauts dirigeants britanniques voient en cette Grande Famine l’occasion de transformer l’Irlande en s’attaquant aux plus pauvres… Pour certains, l’Irlande doit évoluer, et calquer son fonctionnement sur celui de l’Écosse ou encore du Pays de Galles.
La décision est alors prise de ne plus distribuer de céréales en échange de travail… Les irlandais s’enfoncent toujours plus dans la misère… et cherchent toute forme d’actions leur permettant de gagner de quoi manger…
Pendant ce temps, l’Angleterre continue à exporter les denrées alimentaires de l’Irlande vers Londres, privilégiant les britanniques aux irlandais…
La grogne monte.
Les irlandais tentent alors de protester et de se soulever… Mais la forte présence militaire anglaise sur le sol irlandais plonge la population dans une forme de résignation… Ces derniers, incapables de payer leurs loyers, se voient progressivement expulsés par les propriétaires terriens britanniques…
Pour survivre, ces derniers volent, violentent et tente de survivre par tous les moyens… Certaines femmes se prostituent, certains mangent des cadavres d’animaux (chiens, chats….)… Et certains cas de cannibalisme sont même recensés…
L’Angleterre décide alors d’organiser des soupes populaires : elle distribue du potage aux irlandais, en leur demandant de faire un choix : celui de la famine, ou de la conversion au protestantisme.
Pour rappel, les irlandais sont alors majoritairement catholiques. Et l’Angleterre n’a de cesse d’imposer le protestantisme lorsque cela est possible.
Ainsi, les soupes populaires sont organisées sous l’égide de religieux protestants, bien décidés à encourager les plus démunis à rallier la foi protestante. Le slogan « Take the Soup », va alors devenir célèbre dans toute l’Irlande… tout en faisant scandale à la fois.
Des milliers d’irlandais choisissent de prendre la soupe et de se convertir. Ils sont alors surnommés « jumpers« .
En réalité, le « soupérisme » est un phénomène rare qui a été loin de se généraliser dans le pays, mais il marque durablement la mémoire populaire de la famine. Il a également entaché le souvenir de l’œuvre de secours de nombreux protestants qui ont apporté leur aide sans prosélytisme.
Le Ballinglass Incident – Domaine Public
La situation en Irlande n’est plus tenable et se fait connaître au delà des frontières irlandaises. L’église catholique décide alors de se mobiliser : l’Italie envoie de l’argent, tout comme les États-Unis ou encore la France…
L’opinion internationale s’indigne de l’inaction du Royaume-Uni… Mais le gouvernement londonien ne bouge pas d’un pouce. Elle organise quelques soupes populaires où elle distribue des céréales bon marchés : avoine, maïs… Mais cela reste insuffisant.
En 1847, le mildiou ne revient pas. La Grande Bretagne estime la Grande Famine irlandaise finie… A tort.
L’année 47 sera la pire année pour l’Irlande : l’hiver y est terrible, et la misère et la faim sont toujours là. La nourriture fait défaut pendant que Londres fait fermer les soupes populaires, et abandonne plus de 4 millions d’irlandais encore en proie à la faim. Pire encore : Londres continue à envoyer le peu de vivres disponibles d’Irlande vers l’Angleterre…
Dans le même temps, une loi est promulguée : plus aucune aide ne doit être apportée à l’Irlande… à moins que celle-ci ne soit financée par la fiscalité locale irlandaise… Coup de grâce : la loi prévoit qu’aucune aide ne peut être apportée aux irlandais possédant plus d’un quart d’acre de terre. C’est un coup fatal pour la population locale, qui se voit contrainte à renoncer à son terrain, sa maison, et le peu qui lui restait…
De fait, en sept années, plus d’un demi million d’irlandais se voient expulsés de leurs maisons. Les expulsions se déroulent dans la cruauté et la violence. Les britanniques jettent les irlandais dehors… faisant fis de la loi et de la justice. (cf Le Ballinglass Incident). Pire encore : les britanniques détruisent volontairement les toitures des maisons des expulsés : une façon de rendre la propriété inhabitable et contraindre la population à quitter les lieux.
Les irlandais en sont réduits à camper dans les fossés, sur les plages… partout où ils peuvent. Le climat irlandais achève leur résistance : le froid et la pluie les condamnent à la mort. Ces expulsions reviennent à juste les faire mourir un peu plus loin… un peu plus vite…
Les irlandais tentent d’entrer dans les maisons de travail – Domaine public
Pour survivre, tous les moyens sont bons. Les irlandais n’ont guère d’autre choix que de se tourner vers les maisons de travail. Il s’agit d ‘institutions offrant le gîte et le couvert, à condition de s’engager au travail forcé et à l’enfermement.
Lors de la Grande Famine irlandaise, on en dénombre 130… réparties dans toute l’Irlande. Construites en 1842, elles possèdent une capacité d’accueil maximale de 100 000 personnes…
Mais à cette époque, entre 1847 et 1848, c’est plus d’un million d’irlandais qui tentent de trouver leur place dans ces maisons… Peu d’entre eux parviennent à les intégrer… créant des scènes de queue dramatique à l’entrée de ces établissements…
A l’intérieur de ces maisons de travail, les conditions sont particulièrement difficiles et reposent sur une doctrine unique : le travail pour assurer sa subsistance. Les familles sont séparées : les hommes, femmes et enfants vivent dans des quartiers distincts. Ils doivent s’acquitter de travail dignes de forçats. Une sorte de bagne où l’on accepte d’entrer de sa propre volonté… mais dont on ne peut plus sortir.
Malgré la distribution de nourriture et le passage régulier de médecins de l’assistance publique, tous les pensionnaires ne peuvent être sauvés. Le taux de mortalité dans ces maisons reste considérable, et nombreux sont les enfants à y périr. On enterre les morts dans des fosses communes, au sein des maisons de travail elle-mêmes.
On estime que plus de 200 000 personnes sont décédées dans ces maisons de travail durant la famine.
La Grande Famine irlandaise – Domaine Public
Face à tant de misère, les irlandais voient alors en l’Amérique une solution idéale pour échapper à la famine.
Près à tout tenter, ils s’entassent dans des bateaux vers des territoires plus prometteurs.
Bien que certains mourront suite à des tempêtes, et à des maladies suite à des voyages en mer trop long, des milliers d’irlandais gagnent la côte américaine, et forment une véritable diaspora irlandaise, qui existe encore à ce jour.
Pour eux, les États-Unis offrent un véritable rêve de recommencement : ce fameux « American Dream » leur ouvre des perspectives nouvelles, tant en terme économique, qu’en terme de lutte pour l’Irlande… Car ils voient en les États-Unis la possibilité d’une liberté totale exempte de toute domination britannique. Et ils sont près à lutter à distance pour leur île.
Ainsi, en l’espace de 10 ans, on estime que :
Malgré leur misère, ils trouvent ce qu’ils étaient venus chercher : du travail et de la nourriture. Des emplois difficiles et dangereux pour les hommes, tandis que les femmes se retrouvent couturières, cuisinières ou encore domestiques. De quoi leur permettre néanmoins de survivre dans de meilleures conditions comparé à ceux restés en Irlande.
Pour ces expatriés, l’heure est désormais à la solidarité. Bien qu’installés à des milliers de kilomètres de l’Irlande, ils sont toujours fermement décidés à apporter leur soutien à ceux restés là-bas.
Pour cela, les émigrés envoient des fonds aux indépendantistes restés au pays, et fondent le mouvement Fenian, une organisation active dont le but consiste à mener des opérations violentes à l’encontre du gouvernement britannique, afin d’obtenir l’indépendance totale de l’Irlande.
Leur but : utiliser la famine irlandaise comme un argument de poids pour mettre fin aux exactions des britanniques, secourir les irlandais sur place… et obtenir la création d’un État irlandais à part entière, libéré du joug britannique. Pour eux, la Famine doit cesser, et la population irlandaise doit refuser l’oppression. Il est temps pour l’île de choisir sa destinée…
Toutefois, la Grande Famine commence à reculer en 1848. Le mildiou se retire, et certaines régions connaissent une nette amélioration de la situation. Néanmoins, bien que l’on estime que la Grande Famine irlandaise ait duré 3 ans, elle aurait duré bien plus longtemps… Certaines régions mirent plus de temps à se remettre du drame, et l’on estime que la Famine s’est prolongé dans certaines régions d’Irlande avant de disparaître seulement vers 1851…
La Grande Famine dura 4 ans, mais ses conséquences s’étalèrent sur plus d’une décennie. Les pertes humaines furent estimées entre 500 000 et 1 million de morts.
Les réfugiés ont été évalués à 2 millions, et les émigrés à 2 millions également. Ce bilan tragique marqua à jamais l’Irlande : il fut la conséquence d’une catastrophe naturelle, combinée à des siècles d’exactions politiques britanniques sur le sol irlandais.
Encore aujourd’hui, ce tragique épisode de l’Histoire irlandaise a marqué à jamais l’esprit des irlandais.
L’émigration forcée a permit aux irlandais de développer une diaspora dans le Monde entier. De grands noms comme John Fitzgerald Kennedy ou encore Joe Biden ont réussis et sont des descendants directs d’émigrés irlandais. La Grande Famine irlandaise a donc non seulement influé sur l’Irlande, mais également sur la totalité du globe !