L’histoire de l’Irlande ne se résume pas aux invasions, aux famines et à la quête d’indépendance. Elle est aussi marquée par de profondes luttes sociales, menées par les paysans, les ouvriers, les syndicats et les mouvements populaires qui ont cherché à améliorer les conditions de vie d’un peuple longtemps soumis à l’oppression politique et économique. Ces combats, parfois sanglants, parfois pacifiques, ont façonné l’identité irlandaise et continuent d’inspirer les revendications sociales contemporaines.
Dès la conquête anglaise et surtout après les Plantations du XVIe et XVIIe siècle, l’Irlande fut soumise à un système foncier profondément inégalitaire. Les terres furent confisquées aux familles catholiques gaéliques et redistribuées aux colons protestants anglais et écossais.
Cette réorganisation créa une société hiérarchisée : une minorité de propriétaires terriens dominait, tandis que la majorité des Irlandais, locataires et métayers, vivaient dans une précarité extrême. Cette oppression économique devint la toile de fond des révoltes sociales et politiques des siècles suivants.
Le XVIIIe siècle fut marqué par des mouvements paysans organisés contre les injustices du système agraire. Les Whiteboys, apparus dans les années 1760, se soulevèrent contre les hausses de loyers, les enclosures et les dîmes imposées par l’Église anglicane. Leurs actions nocturnes, souvent violentes, consistaient à détruire clôtures et propriétés symbolisant l’oppression.
À la fin du siècle, un autre groupe, les Defenders, rassembla catholiques pauvres en opposition aux discriminations et aux violences des milices protestantes. Ces sociétés secrètes posèrent les bases d’une résistance organisée, bien que réprimée avec brutalité par les autorités britanniques.
La domination protestante en Irlande était institutionnalisée par les Penal Laws, qui interdisaient aux catholiques d’accéder à la propriété, à certaines professions et à des fonctions publiques.
Au XIXe siècle, le mouvement pour l’émancipation catholique, mené par Daniel O’Connell, mobilisa les masses populaires dans des rassemblements pacifiques connus sous le nom de « monster meetings ». Grâce à cette pression populaire, l’Acte d’émancipation catholique de 1829 fut adopté, permettant aux catholiques de siéger au parlement de Westminster. Cet épisode marqua une victoire majeure dans l’histoire des luttes sociales irlandaises.
La Grande Famine (1845–1852) fut non seulement une catastrophe humanitaire mais aussi un catalyseur de luttes sociales. Un million de morts et deux millions d’émigrants transformèrent la société irlandaise.
Cette tragédie accentua la colère contre le système foncier et la passivité du gouvernement britannique. Des organisations comme la Land League, fondée par Michael Davitt et soutenue par Charles Stewart Parnell, menèrent la Land War dans les années 1870-1880. Ce mouvement exigeait une réforme foncière, le droit à des loyers justes et la possibilité d’acheter les terres.
Grâce à des campagnes de boycott, de manifestations et de pressions politiques, des réformes successives permirent aux paysans d’accéder progressivement à la propriété.
L’industrialisation de villes comme Dublin et Belfast fit émerger un mouvement ouvrier combatif. Les conditions de travail, marquées par la pauvreté et l’insalubrité, conduisirent à une mobilisation syndicale.
La figure la plus emblématique de cette lutte fut James Larkin, fondateur de l’Irish Transport and General Workers’ Union (ITGWU). En 1913, le lock-out de Dublin opposa des milliers d’ouvriers à leurs employeurs. Ce fut l’un des plus grands conflits sociaux d’Europe à l’époque, marquant durablement la conscience ouvrière en Irlande.
Les femmes irlandaises jouèrent un rôle essentiel dans les mouvements sociaux. Des militantes comme Hanna Sheehy-Skeffington furent à l’avant-garde du combat pour le droit de vote.
Dans le même temps, des figures comme Constance Markievicz participèrent aux mouvements ouvriers et politiques, mêlant lutte sociale, féminisme et revendications nationalistes. La conquête du droit de vote des femmes en 1918 et leur participation aux mouvements révolutionnaires témoignent de leur rôle déterminant.
Au début du XXe siècle, les revendications sociales et politiques se rejoignirent. Le mouvement ouvrier et les luttes paysannes s’articulaient avec le combat pour l’indépendance.
Pendant la guerre d’indépendance (1919–1921), les questions sociales ne disparurent pas : elles se mêlèrent à la quête de souveraineté nationale. L’Irlande indépendante née en 1921 hérita donc à la fois d’une lutte politique et d’une tradition sociale contestataire.
Si les grandes réformes foncières et l’indépendance ont transformé la société irlandaise, les luttes sociales ne se sont pas arrêtées. Au XXe siècle, elles ont pris d’autres formes : lutte pour de meilleures conditions de logement, pour l’égalité des droits entre femmes et hommes, pour la reconnaissance des droits civiques en Irlande du Nord dans les années 1960.
Ces mobilisations ont inspiré le mouvement des droits civiques, dont les marches pacifiques furent brutalement réprimées, menant aux Troubles. Aujourd’hui encore, les syndicats, associations et collectifs continuent de jouer un rôle dans la défense de la justice sociale en Irlande.