Le saviez-vous ? Les irlandais possèdent une approche toute particulière avec la mort. Une vision empreinte de philosophie, de sagesse et de fatalisme, qui se concentre dans une tradition à part entière : celle de l’Irish Wake. Très importante aux yeux de la population, elle démontre le rapport particulier des irlandais face à la vie et à la mort… mais aussi face à la religion et à l’esprit de famille et de camaraderie…
Retour sur un véritable phénomène de société qui existe depuis des siècles…
Une croix celte – Neil Tackaberry – cc
En Irlande, les décès se célèbrent d’une façon unique. De la veillée jusqu’à l’enterrement, les irlandais aiment se réunir tous ensemble pour commémorer le défunt. Mais le plus important de la cérémonie intervient surtout lors de la veillée funèbre, durant une nuit quasi complète.
L’occasion pour les personnes en deuil de rendre hommage à la personne partie, dans une atmosphère insolite.
C’est cette veillée, qui correspond à l’Irish Wake.
Traditionnellement, l’Irish Wake commence par la veillée du corps au sein du foyer du défunt. La famille prépare la maison pour accueillir la personne décédée. Elle est généralement installée dans une pièce principale, comme le salon.
Les proches et les amis viennent alors rendre hommage, veillant près du corps, et récitant des prières. Cette proximité avec le défunt symbolise l’acceptation de la mort comme une partie naturelle de la vie.
Contrairement à une vision morose de la mort, l’Irish Wake est souvent marqué par une célébration de la vie du défunt. Les souvenirs sont partagés autour de quelques pintes, des histoires sont racontées, et des rires éclatent fréquemment.
C’est l’occasion de se souvenir des bons moments passés avec le défunt et de reconnaître l’impact qu’il a eu sur ceux qui l’ont connu.
Mais ce n’est pas tout ! La musique joue aussi un rôle central dans l’Irish Wake. On donne la part belle aux chansons traditionnelles irlandaises. Des musiciens viennent spécialement sur place, des membres de l’assemblée s’improvisent chanteurs et tous communient dans des élans de tristesse, de rires et de joie.
Les chants peuvent être mélancoliques ou joyeux, et reflètent le large éventail d’émotions ressenties lors de la veillée. La musique sert à unir les participants et à exprimer les sentiments de perte, de nostalgie, mais aussi de gratitude.
La nourriture et les boissons sont également des éléments essentiels lors d’une veillée funèbre irlandaise. Des plats traditionnels sont souvent servis, et le whisky irlandais coule à flot.
Partager un repas et lever un verre en l’honneur du défunt sont des actes de solidarité et de communion, offrant réconfort et soutien à la famille en deuil.
Bien que cela puisse sembler étrange dans un contexte de deuil, il n’est pas rare que des jeux ou des blagues soient partagés lors d’un Irish Wake.
Ces moments d’humour sont vus comme une façon de défier la tristesse et de célébrer le caractère unique du défunt. C’est une façon d’affirmer que même dans la mort, la joie de vivre ne doit pas être oubliée.
Un acte militant plein de sagesse, qui démontre toute la force et la conviction des irlandais face à la perte et à la mort.
Une Banshee au cœur de la nuit en Irlande – © Declan Hillman
Une superstition courante lors d’un Irish Wake consiste à couvrir les miroirs d’un linge dans la maison du défunt.
On croyait en effet que les miroirs pouvaient piéger l’âme du défunt, empêchant ainsi son passage vers l’au-delà. Les couvrir évitait également que les esprits ne se manifestent ou ne perturbent les vivants.
Il est de coutume d’ouvrir une fenêtre dans la pièce où le décès est survenu, permettant ainsi à l’âme du défunt de quitter librement la maison. La fenêtre doit rester ouverte jusqu’à ce que le corps soit enlevé pour éviter que l’âme ne soit piégée.
Les horloges de la maison sont souvent arrêtées à l’heure de la mort. Cette pratique symbolise l’arrêt du temps pour le défunt et empêche également le mauvais sort de s’abattre sur la maison ou les vivants.
Bien que moins courant aujourd’hui, cette superstition consistait à embaucher un “sin-eater” (mangeur de péchés) pour consommer un repas placé sur le corps du défunt, symboliquement absorbant ses péchés pour assurer que l’âme puisse entrer au paradis.
Cette mission était généralement déléguée à des prêtres déchus.
Mettre des pièces de monnaie sur les yeux du défunt avait une double fonction : cela empêchait les yeux de s’ouvrir après la mort (ce qui serait de mauvais augure) et représentait le paiement pour le passage dans l’au-delà, une coutume qui remonte à l’Antiquité.
Les banshees sont des esprits féminins de la mythologie irlandaise dont les cris annoncent la mort imminente. Entendre le cri d’une banshee était perçu comme un présage de mort, et il n’était pas rare que les gens prétendent avoir entendu des banshees pleurer avant ou après le décès d’un proche.
Des bougies étaient souvent allumées autour du corps pendant la veillée pour éloigner les mauvais esprits et guider l’âme du défunt vers l’au-delà.
Quand le corps du défunt est enlevé de la maison, il doit être sorti avec les pieds en premiers pour empêcher son esprit de revenir. De plus, toutes les chaises utilisées lors de la veillée doivent être renversées une fois que le cercueil a quitté la maison, empêchant ainsi les esprits de s’asseoir.
L’Irish Wake est une tradition vieille de plusieurs siècles. On estime qu’elle daterait bien avant l’arrivée du christianisme en Irlande.
À l’origine, l’événement était probablement influencé par les anciennes croyances celtiques, qui vénéraient la mort comme un passage vers un autre monde. Avec le temps, ces veillées ont intégré des éléments chrétiens, tout en conservant leur essence païenne.
La pratique a évolué pour devenir une occasion où les proches et les amis du défunt se réunissent, non seulement pour pleurer la perte de l’être cher, mais aussi pour célébrer sa vie.
L’Irish Wake ne peut pas se résumer à une simple coutume funéraire. Il est avant tout l’expression de la philosophie de vie des irlandais. Elle reflète une acceptation de la mort comme une partie inévitable de l’existence humaine, et une reconnaissance de l’importance de la communauté dans les moments de douleur.
L’Irish Wake est un hommage à l’idée que la vie doit être célébrée, même dans la mort, et que la mémoire des êtres chers continue de vivre à travers les histoires et les souvenirs partagés.
Ainsi, la communauté et la solidarité permettent de dépasser la perte de l’être cher. En commémorant le défunt dans un esprit à la fois festif et mélancolique, les irlandais démontrent toute l’ambivalence et la complexité de la vie…
Pour eux, il est possible d’en pleurer autant que d’en sourire…
Bien que les pratiques modernes et les influences externes aient modifié certains aspects de l’Irish Wake, cette tradition reste vivante dans de nombreuses régions d’Irlande.
Les veillées à domicile sont parfois remplacées par des funérailles dans des salons funéraires, et la durée de la veillée peut varier.
Cependant, l’essence de l’Irish Wake — rassembler les proches pour honorer la vie du défunt — demeure intacte.
L’Irish Wake Museum à Waterford – © Patrick Browne for Waterford Treasures
La veillée funèbre est si importante en Irlande, que la tradition possède son propre musée ! Pour cela, il faut se rendre à Waterford, pour découvrir l’Irish Wake Museum. L’établissement vous propose une vaste exposition sur les rites, les traditions et le symbolisme qui se cache derrière l’Irish Wake.
Une visite passionnante, bien qu’un peu macabre… Mais c’est ce qui fait son charme !